
Portrait huaco
Une tentative de déconstruction, de décolonisation, intime et politique. La mort de son père porte à son paroxysme l’attention de la narratrice à son héritage. Bâtardise, double-vie, mensonge, exagération, engagement politique, reconnaissance sociale, sexualité…. l’invisible est au cœur de son travail, son questionnement. L’invisibilité et l’invisibilisation. Qui connaît l’arrière-arrière-grand-mère autochtone ? l’histoire est racontée par les hommes, blancs, en l’occurrence l’arrière-arrière-grand-père.
J’y entends un écho à L’amour de nous-mêmes. Dans ce texte de Erika Nomeni la narratrice – lesbienne, noire, grosse – se demande : pourquoi est-elle attirée par des femmes blanches et fines ? Et se livre à une déconstruction intersectionnelle de ses relations amoureuses. Dans Portrait huaco, Gabriela s’interroge elle aussi sur son désir pour sa femme blanche et mince. Alors que son mari est cholo.
J’y entends aussi un écho à Les otages, contre-histoire d’un butin colonial. L’enquête de Taina Tervonen et le roman de Gabriela Wiener ont en commun les biens volés (renommés trésors de guerre ou découvertes de l’explorateur), la fin du XIXe et les théories racistes, les jardin acclimatation, les possessions coloniales.
Comment un dominé devient dominant ? C’est le chemin d’un immigré guidé par la nécessité de s’intégrer, d’être reconnu comme membre éminent de la communauté d’accueil, en l’occurrence la France pour l’arrière-arrière-grand-père de la narratrice. Gabriela se montre sans pitié et sans détour dans ce questionnement, tout en étant rongée par l’angoisse, la jalousie, l’auto-sabotage.
Le portrait huaco, c’est celui de Gabriela. Son double à travers les siècles.
Je ne sais pas ce que provoque en moi ce mélange de considérations sexuelles et familiales, intimes et sociales. C’est déroutant mais ses questions et ses observations m’autorisent à emprunter – à mon échelle – le même chemin. Que sont nos corps ? Que sont nos désirs? Quels sont nos héritages ? Et qu’en faisons-nous ?
« On est en 1877, le XXe siècle n’est pas loin, et mon ancêtre européen ne peut pas éviter de tout civiliser sur son passage.
Je referme le livre, il comporte tellement de pages qu’il fait du bruit quand il retombe, il exhale son ancienneté, c’est comme si un vieillard m’avait soufflé sa mauvaise haleine en plein visage. Est-ce que Juan avait des yeux aussi petits et ardents que les miens quand il a vu tout ça pour la première fois ? c’est bizarre, je sais que dans mes veines coule le sang de Charles, pas celui de Juan, mais c’est l’enfant adopté que je sens comme un membre de ma famille.
Mon aïeul a emmené avec lui un enfant indigène pour le mettre dans une vitrine, comme on l’a fait avec King Kong. On dit que les ‘’Indiens’’ qu’on emmenait en Europe ne survivaient pas bien longtemps. Moi, ça fait déjà quinze ans que j’y suis et cela me semble tenir du miracle. » p52